La réalisatrice Marie Mandy nous parle de son docu 'Les femmes préfèrent en rire' et de la santé du cinéma documentaire en Belgique
Dans le cadre du Mois du Doc, où son film 'Les femmes préfèrent en rire' sera diffusé, Pickx s'est entretenu avec la réalisatrice belge Marie Mandy. Elle nous explique notamment pourquoi le documentaire en Belgique reste hautement qualitatif.
De Pickx
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Votre dernier documentaire, ‘Les femmes préfèrent en rire’, sera diffusé durant le 'Mois du Doc'. Comment vous est venue l’idée de faire un documentaire sur l'humour au féminin ?
Marie Mandy: "Ma réflexion sur le rire et l'humour a débuté dans les années 2015. Je traversais une période un peu difficile dans ma vie, je ne riais plus beaucoup et j'ai découvert que les "Laughing club", les clubs de rires, qui existaient en Inde depuis les années 90, étaient arrivés en Europe. J'ai donc débarqué un jeudi midi dans un club à Paris, avec l’alibi de faire un film sur le sujet. Après avoir payé 10€, je me suis marrée pendant une heure avec des gens que je ne connaissais pas et ça m’a fait du bien. Dans ces clubs, l'idée est de faire rire le corps non pas avec de l'humour, mais en passant d'abord par un rire mécanique. Au bout d'un moment les gens commencent à partager ce rire entre eux et à la fin de la séance on rigole comme des fous. Et donc même avec un rire artificiel, le cerveau croit qu'on se marre vraiment et libère des neurotransmetteurs : de la dopamine, de l'ocytocine, de la sérotonine et des endorphines, bref, des bonnes substances pour le corps. On estime qu'il faut rire 10 minutes par jour pour être en bonne santé, et je ne suis pas sûre qu'il y ait beaucoup de gens qui rient 10 minutes quotidiennement, en tout cas ce n'était pas mon cas. Cette expérience m’a inspiré un premier documentaire : 'Rire en temps de crise' sorti en 2018. Ensuite, je me suis penchée sur le rire provoqué par l’humour et je me suis intéressée aux humoristes et aux chroniqueurs qui commençaient à apparaître dans toutes les émissions à l'époque, pour faire passer la pilule des mauvaises nouvelles. Très souvent, je ne trouvais pas ça drôle, et en creusant la question je me suis rendu compte que j'étais beaucoup plus réceptive aux chroniques faites par des femmes parce qu’elles m’interpellaient davantage. J’aime être touchée, et pouvoir m'identifier. J’ai donc décidé de donner la parole aux femmes humoristes, et en cherchant un angle pour le film, j’ai observé qu’une nouvelle génération de standupeuses utilisait l'humour pour faire passer des messages féministes, et ça m’a paru vraiment intéressant à explorer."
Il y a de plus en plus de femmes humoristes, et vous en avez réuni dix dans votre documentaire, il a parfois fallu les convaincre de participer à votre film ?
M.M.: "Oui, je me suis retrouvée face à deux catégories d'humoristes : celles qui sont fondamentalement engagées, qui ont le sens du collectif, et qui ont accepté tout de suite de participer à un film choral sur l'humour au féminin et d'aborder frontalement la question du féminisme dans leur travail. Et puis les autres, qui ont refusé de participer à un documentaire dans lequel il n’y avait que des femmes, ou qui ne voulaient pas qu'on leur colle une étiquette de féministe. Donc oui, j'ai eu des refus, mais c'est bien comme ça, une sorte de tri naturel qui m’a obligée à affiner mon casting et à me tourner encore davantage vers la diversité des femmes comiques."
Quand on regarde le thème de votre film ‘Les femmes préfèrent en rire’, c’est l’exemple type d’un documentaire utile ?
M.M.: "Oui, en fait je n'aime pas les films constats. Que ce soit en fiction ou en documentaire, le cinéma me touche quand il m'apporte un supplément, une ouverture, une élévation de la conscience; quelque chose qui me permette en tant que spectatrice de grandir à travers le film que j'ai vu. Quand je réalise mes films, j'essaye d'aller dans cette même direction pour offrir au spectateur de la matière à penser. Et donc dans ce sens, oui, je suis toujours heureuse quand on me dit que c'est un documentaire utile, qui peut être diffusé dans les écoles, dans des associations pour nourrir des débats, etc. Lorsque j'ai réalisé 'Voir (sans les yeux)', un film sur la vision mentale des aveugles, ma plus grande satisfaction fut quand des aveugles sont venus me trouver à la fin de la projection -nous avions fait une version en audiodescription- et m'ont dit: "Dans ce film, les gens disent des choses que je vois dans ma tête, mais que je n'arrive pas à formuler." C'était la plus belle des récompenses. C'est moi aussi ce que j'attends de la littérature, par exemple : quand je lis, j'aime découvrir, mieux formulées dans le livre, des choses que je pense, mais que je n'arrive pas à articuler de façon aussi subtile."
Quand on regarde votre filmographie, on comprend vite que la défense des femmes est un sujet qui vous tient à cœur, est-ce que vous avez eu des difficultés à faire carrière en tant que femme ?
M.M.: "Je ne sais pas quelle carrière j’aurais faite si j’avais été un homme, j’aurais peut-être fait des films à plus gros budgets ! Mais ce qui est certain, c'est que les projets qui abordaient des questions liées aux femmes ont été plus difficiles et plus longs à financer. De manière générale, quand on fait des films sur de grands sujets de société, comme la crise des migrants ou le réchauffement climatique, on trouve de l'argent. Quand on propose un film sur un sujet qui concerne principalement les femmes, tout à coup, cela devient très compliqué, et je ne sais pas pourquoi. Je porte parfois ces films plus d'une décennie avant d'arriver à les faire."
Et donc même dans notre époque post #MeToo, la situation ne s'est pas améliorée ?
M.M.: "J'ai tout de même mis cinq ans à financer 'Les femmes préfèrent en rire', donc non la situation ne s’améliore pas tant que ça. Il y a aussi souvent un problème de case avec ce type de film. Pour 'Les femmes préfèrent en rire', on m’a dit que ce n'était pas un film ‘société, mais il ne rentrait pas non plus dans les cases’ artistiques’. Je rencontre souvent ces problèmes, surtout en France, contrairement en Belgique, où la RTBF m'a suivie depuis plus de 25 ans sur tous mes projets !"
Comment se porte le cinéma documentaire belge ?
M.M.: "Je trouve que le cinéma documentaire belge est un cinéma de grande qualité, année après année. On a une patte en Belgique pour faire du documentaire qui se trouve à la frontière des genres. On fait du cinéma, et on évite les écueils caractéristiques des films de télé, comme les face-caméra, les commentaires d'experts, etc. Depuis 40 ans, on reste dans le haut du panier en matière de créativité. Les nouvelles générations arrivent et continuent à faire des films qui ont cette même puissance. Je pense qu'il y a un imaginaire belge fort, original, et quand on est nourri à ça, cela se ressent dans l’inventivité. Paradoxalement, on subit moins de pression de la part des producteurs et des diffuseurs. Travaillant beaucoup à l’étranger, je peux témoigner que la tendance ailleurs est de surformater. Si vous agissez sur la forme des récits, les types de narrations, vous vous retrouvez avec des films qui se ressemblent tous. Pour 'Les femmes préfèrent en rire', l'annonce du second confinement est tombée 3 jours après le début du tournage. Comme il était impossible de continuer à filmer les standupeuses sur scène, j'ai conçu avec la scénographe Valérie Jung ce dispositif de trains (en vidéoprojection) et nous avons tourné en studio, invitant toutes les humoristes dans notre faux train. Cette astuce donne au film un cachet qui est finalement plus intéressant que s'il avait été tourné en décors réels. C'est ce genre de fantaisie que j'aime apporter : on peut faire du documentaire avec des règles de fiction, du studio, de la mise en situation, des décors, tout en restant au cœur du genre documentaire parce que tout part de personnes réelles qui parlent en leur nom."
Quand on regarde les sorties belges, on retrouve en effet souvent du vrai cinéma, on s'éloigne des documentaires qui ressemblent au fond à de longs reportages...
M.M.: "C'est ça, je trouve que la télévision en général a dévié le documentaire de sa forme première pour nous demander de faire du "super-reportage". Et c'est très difficile d'ailleurs de faire comprendre aux étudiants la différence entre un reportage et un documentaire. Ce regard singulier, avec subjectivité justement, qu'on propose en tant qu'auteur sur une réalité et qui est le propre du format documentaire."
Le 'Mois du Doc', c’est l’occasion d’amener un public qui n’est pas forcément habitué à aller au cinéma pour voir des documentaires ?
M.M.: "C'est toujours important de ramener le public dans les salles. Pour vivre l’expérience de partager ensemble un film. On l'a vu avec la pandémie à quel point ce sens du collectif a été totalement brisé. Le fait de découvrir un film à plusieurs et sur un écran plus grand que nous, en levant la tête, nous élève davantage, nous englobe, c’est une expérience différente que celle de baisser la tête vers un écran plus petit que soi. Mais surtout, les petits écrans, c’est dénaturer notre travail : on tourne en 4K, on étalonne nos films de manière extrêmement précise, on fait des mixages son incroyables, et tout ça pour que les gens finissent par regarder nos films sur des « timbres postes », c'est affreux. Non seulement le 'Mois du Doc' pousse le public à retourner en salle, mais ça leur apprend aussi que le documentaire de création, ce sont de vrais films, différents de ce qu'on voit souvent à la télévision."
Est-ce qu’il y a un manque de visibilité pour le genre documentaire ? Peu de chaînes en diffusent, peu de cinéma...
M.M.: "C'est vrai que traditionnellement le documentaire est moins diffusé en salle, mais je trouve que ces dernières années avec la qualité des docs, les gens s'y intéressent de plus en plus. Beaucoup de gens me disent qu'ils regardent des documentaires, alors certes peut-être pas au cinéma, mais le pas à faire pour aller les voir en salle n'est pas énorme. D'ailleurs les grands festivals priment les documentaires au même titre que la fiction, le meilleur exemple, c’est le film documentaire de Laura Poitras 'All the Beauty and the Bloodshed' qui a remporté le Lion d'or cette année à Venise."
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
M.M.: "Ce qui m’intéresse, c'est d’explorer sans cesse les dispositifs narratifs du documentaire. Pour 'Les femmes préfèrent en rire', nous avons créé un improbable voyage en train, entièrement tourné en studio. J'essaye de faire ce que j'appelle du « cinéma expérientiel ». Du documentaire qui permette au public de vraiment ressentir des choses à travers les images. Et donc ce que vous pouvez me souhaiter, c'est que je puisse continuer à être créative dans mes prochains films, alors que la tendance est de formater toujours plus..."
Le documentaire ‘Les femmes préfèrent en rire’ sera projeté ce 11 novembre à Charleroi au centre culturel Quai 10, et au cinéma Plaza à Hotton le 29 novembre. Le mois du doc se déroule du 1er au 30 novembre. La programmation 2022 compte quelque 90 documentaires pour 120 projections dans des salles de cinéma, des centres culturels ou encore des bibliothèques. Retrouvez ici toute la programmation.
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