Virgin suicides de Sofia Coppola, ou l’art du drame tout en retenue
Virgin suicides est un drame qui nous plonge au cœur des années septante, dans une petite bourgade bourgeoise du Michigan d’une Amérique puritaine, dans un quartier paisible et sans problème, en apparence. Au centre du drame, les sœurs Lisbon. Elles sont belles et elles sont cinq, âgées entre treize et dix-sept ans. Tous les garçons se demandent comment un bizarre professeur de math et une épouse aussi stricte ont pu engendrer autant de beauté. Et la beauté, ça fascine.
Les sœurs Lisbon seront épiées, deviendront le centre d’intérêt des garçons jusqu’à susciter la passion, la convoitise et devenir le fantasme de ces adolescents.
Pourtant, derrière le mystère qu’elles cultivent et la sensualité qu’elles dégagent, se cache un mal de vivre que l’on découvrira lors de la tentative de suicide de Cécilia, la cadette. Ce jour-là, le mystère ne sera que renforcé et restera encore entier, vingt ans après leur disparition.
Ce qui m’a subjuguée dans ce drame de Sofia Coppola, c’est le contraste qui existe entre la beauté des images, la sensualité, la douceur, l’ambiance feutrée qui s’en dégagent et la gravité du thème abordé. En effet, Virgin suicides nous relate le suicide d’adolescents, le mal de vivre de cinq sœurs sans quasiment jamais nous montrer les déboires, les excès, les heurts, les disputes, l’agressivité, la violence. Si le désœuvrement de la jeunesse nous est souvent conté par des cris, des actes de rébellion, des contestations ostensibles, Sofia Coppola choisit de le faire tout en douceur, quasiment dans un murmure, préférant aborder toutes les rêveries inassouvies d’adolescentes via un florilège d’images sensuelles qui rappellent ces portraits de David Hamilton, plutôt que d’étaler leurs frustrations quotidiennes. C’est comme si toute la cruauté du propos était absorbée par le charme et le romantisme des tableaux orchestrés par Coppola. Bien sûr, on assiste à quelques scènes où l’on vit l’ennui des jeunes filles et la tension face à l’éducation stricte des parents. Mais en choisissant de nous dépeindre tout ce mal-être de l’extérieur, c’est-à-dire du point de vue des jeunes hommes et non des filles Lisbon, Sofia Coppola élude les horreurs du quotidien pour ne cultiver que le mystère et renforcer la fascination que les sœurs exerceront sur les garçons de leurs classes.
La mère, personnage austère et sévère qui n’hésite pas à rallonger la longueur des jupes de ses filles et à assassiner toutes les relations amicales ou amoureuses qu’elles pourraient entretenir, est admirablement interprétée par Kathleen Turner. James Woods campe, quant à lui, un père isolé dans son monde intellectuel rasoir et enfermé dans le mode de vie et les tabous imposés par son épouse. Quant aux filles, on retiendra le rôle de Lux, la seule à braver les interdictions de ses parents ; elle est interprétée par une Kirsten Dunst, alors âgée de dix-sept, qui crève l’écran et dégage une sensualité sans borne.
Virgin suicides, c’est aussi une fresque de l’Amérique où tout n’est qu’apparence, la réussite, le bonheur, la position sociale, les amitiés ; une Amérique où les ragots et les on-dit restent sous-jacents et explosent au grand jour dès que l’opportunité se présente ; une Amérique où les faits divers, aussi douloureux soient-ils pour les familles, sont livrés en pâture à une presse en mal de sensations.
Enfin, je n’oublierai pas de mentionner la magnifique bande son qui accompagne les images et renforce l’ambiance aérienne et magique du film ; elle est signée par le groupe électronique français, Air.
Un excellent premier film de Sofia Coppola, à voir (et à écouter), absolument !
Virgin suicides, mercredi 29 janvier 2014 sur Arte à 20h50 (rediffusion jeudi 30 à minuit).