Pickx a rencontré Céline Sciamma, la réalisatrice de 'Petite Maman' et 'Portrait de la jeune fille en feu'
La réalisatrice française Céline Sciamma a reçu ce mercredi le prix Joseph Plateau des mains de Lukas Dhont au Festival du Film de Gand. Avec des films comme 'Tomboy', 'Bande de filles', 'Portrait de la jeune fille en feu' et dernièrement 'Petite Maman', Céline Sciamma est une réalisatrice résolument féministe, qui s'attache au monde de l'enfance. Alors que ce prix d'honneur récompense l'ensemble de sa carrière, Pickx s'est entretenu avec elle.
De Pickx
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Vous allez recevoir le prix Joseph Plateau du Festival du Film de Gand, comment vous sentez-vous ?
Céline Sciamma: "Je n'anticipe pas trop ce genre de moment en fait, c’est toujours un grand plaisir évidemment, mais j’attends surtout de rencontrer ceux qui vous le donnent. L’idée c’est à chaque fois de rencontrer la culture d’un lieu qui fait vivre le cinéma. Ici, je suis là pour rencontrer les activistes du cinéma, je ne viens pas présenter un film, c’est une tout autre démarche."
Vous allez recevoir un prix pour l’ensemble de votre carrière, c’est déjà très flatteur…
C.S.: "Oui, c’est incroyable. Quand j’ai vu les talents qui ont reçu le prix avant moi, j’étais en effet ravie de faire partie de cette liste ! J’ai fait cinq films donc je le prends comme un soutien, comme un encouragement à continuer."
Ce soir, le Festival du Film de Gand diffusera votre dernier film, 'Petite Maman', qui part du postulat qu’une petite fille rencontre sa propre mère au même âge. Cela impliquait de travailler avec deux jeunes actrices, Joséphine et Gabrielle Sanz, comment s’y prend-on pour diriger des enfants ?
C.S.: "Travailler avec des jeunes gens, c’est au cœur de mon travail. Ils font deux choses en même temps, ils apprennent à la fois le métier d’interprète pour le cinéma, ils apprennent à participer à un nouveau langage tout en ayant la responsabilité du film qu’ils font aussi. C’est pour moi un grand plaisir de voir ces deux choses-là se réaliser en parallèle. Le film s’émancipe grâce à ses interprètes, et on voit les enfants grandir en même temps. On les voit devenir complètement indépendants, au travail. Et c’est vrai que c’est plutôt le rapport que j’ai avec les enfants. Je n’ai pas d’enfants, mais je collabore avec eux, avec elles. Mais concrètement, je m’y prends de la même manière avec les enfants et les adultes. En fait, la façon de travailler avec les enfants a quasiment conditionné ma façon de travailler avec les adultes. C’est à la fois très joyeux et très émouvant de travailler avec de si jeunes artistes."
Ils ont moins de mauvais réflexes ?
C.S.: "On s’adapte toujours à la langue du film. Et dans mon cas j’ai écrit des films pour des enfants premier rôle donc tout le film se structure autour de ça. Je trouve d’ailleurs que c’est beaucoup plus naturel de demander à un enfant de jouer. C’est pour ça que je ne répète pas beaucoup, je fais des castings très courts, je rencontre peu d’enfants. Pour 'Petite Maman', je n’avais rencontré que Joséphine et Gabrielle Sanz par exemple. Je suis dans une dynamique de confiance absolue dans le fait que les enfants savent jouer. Il est important de toujours créer un espace à leur échelle de travail. La grande difficulté quand on travaille avec les enfants c'est le temps, parce qu'on n'a que trois heures par jour avec eux. Et c'est bien normal mais donc, en tant que metteur en scène, on doit être extrêmement pratique et efficace."
Vous travailliez avec une équipe réduite afin de moins les impressionner ?
C.S.: "Sur 'Tomboy' oui mais sur 'Petite Maman', c'est un film de studio entièrement tourné dans des décors construits, ce qui nécessite beaucoup d'intervenants. Mais c'est aussi ce qui crée un espace de jeu très ludique, un espace que les enfants s'approprient totalement. Sur ce film-là particulièrement j'imagine que ça aide à créer une des sensations du film."
'Petite Maman' est un film qui s'adresse à la fois aux adultes et aux enfants, c'est une première chez vous. Comment s'y prend-on pour donner vie à ce double degré de lecture ?
S.C.: "Ça m'était déjà arrivé sur 'Ma vie de courgette', qui est un film d'animation pour enfants que j'avais co-écrit et qui m'a vraiment changé. Ça m'a fait comprendre ce que c'était d'écrire pour tous les publics en même temps. Cette expérience a d'ailleurs influencé ma manière d'écrire en général. J'ai continué à mettre à profit ces enseignements pour 'Petite Maman'. L'idée était d'arriver à créer un espace-temps commun pour les spectateurs. On ne sait pas quand le film se passe, j'ai tenté d'encapsuler 50 ans d'enfances possibles. Un enfant des années 50 pourrait se dire que ce film lui fait rappeler son enfance, tout comme un enfant d'aujourd'hui. Par exemple, une des paires de baskets qu'un des enfants porte dans le film était trouvable dans le commerce en 1955 et l'est toujours à l'heure actuelle. C'est cette illusion d'un temps commun que je recherchais. Ensuite, il y a évidemment le principe même du film qui est un tour de magie qui permet à une petite fille et sa mère de se rencontrer au même âge."
Ce soir, vous allez participer à un échange avec le réalisateur Lukas Dhont. Que pensez-vous de son cinéma ?
C.S.: "Je suis très contente de le rencontrer. Je n'ai pas encore vu son deuxième film dont la première était hier soir, mais j'ai vu ses travaux précédents, et on a des choses à se dire !"
Vous avez des thèmes en commun…
C.S.: "Effectivement, et en plus, c'est une question de génération, le plaisir d'être là comme moi depuis un petit moment c'est que j'ai une curiosité immense pour le travail de cette nouvelle génération."
En parcourant votre filmographie on s'aperçoit directement que l'enfance est un sujet qui vous tient à cœur, qu'est-ce qui en fait un sujet si cinématographique ?
C.S.: "Je crois que c'est la qualité spécifique du regard des enfants sur ce qui les entoure, qui est un regard et un enjeu de compréhension vitale du monde. Un enfant qui observe ses parents, qui observe une situation, on le voit tenter de résoudre l'énigme de ce que c'est de vivre tout simplement. Il y a une dynamique à la fois existentielle du regard enfantin et à la fois très dépendant. Ce qui m'intéresse, c'est cette tension vitale dans le fait d'observer. Je travaille toujours sur des personnages qui regardent le monde, des personnages qui ont un point de vue unique. Et donc embrasser le regard des enfants permet de mettre une tension dramaturgique d'emblée. On le voit d'ailleurs quand on a des interactions avec les enfants dans la vie, une question d'enfant vous convoque directement."
Pensez-vous que le milieu de l'enfance est un thème délaissé au cinéma ?
C.S.: "Oui, et j'irais même jusqu'à dire que les enfants en général, en tant que citoyens, ne sont vraiment pas considérés comme classe sociale. On les investit beaucoup politiquement, à la fois d'un espoir pour le futur, et de décisions qu'on prend aujourd'hui pour eux. Je parle d'un point de vue européen, parce qu'en voyageant avec le film je me suis rendu compte qu'il y a bien des réalités. Notamment au niveau du Covid, la crise nous a montré des réalités très différentes pour les enfants dans différents pays."
Avez-vous vu le film 'Un Monde' de Laura Wandel ?
S.C.: "Je l'ai vu et je l'ai trouvé superbe. J'ai rencontré Laura Wandel et c'est une metteuse en scène qui m'intéresse énormément."
On retrouve également une prédominance de rôles féminins principaux dans votre cinéma.
S.C.: "Je n'ai jamais envisagé autre chose. C'est à la fois les personnages que j'ai envie de mettre en scène et, en même temps, il y a un besoin gigantesque de représentation, donc je suis contente d'avoir ce désir. Mon travail répond à un désir commun d'un cinéma féministe."
La prochaine question est un peu banale, mais qu'est-ce qui caractérise votre cinéma ? Vous avez cinq minutes !
S.C.: "Ce n'est pas facile. C'est une réponse qui change dans le temps. Mais d'un projet à l'autre, j'ai l'impression que mes films sont tous obsédés par la question de la transformation, des personnages qui se transforment, qui ont la possibilité de se transformer. Mais il y a aussi la transformation du cinéma. C'est-à-dire de s'amuser à innover. Le cinéma est un langage et j'aime explorer de plus en plus ce langage, notamment au niveau de la narration."
Justement, vous avez une formation de scénariste, et dans une conférence pour scénaristes que vous aviez donnée aux BAFTA, vous expliquiez que c'était le public britannique, et même le milieu du cinéma britannique en général, qui vous comprenait le mieux. Était-ce une manière de flatter votre audience ou le pensiez-vous vraiment ?
S.C.: "Non c'est vrai, mine de rien je me retrouve à parler plus souvent de cinéma en anglais qu'en français. Et ce n'est pas seulement en Angleterre, il y a aussi les Pays-Bas, les États-Unis. J'ai la chance d'avoir une discussion assez vaste en termes de territoire avec le public et de matière de différentes cultures de cinéma. Et c'est vrai qu'il y a dans mes films à la fois quelque chose de familier et quelque chose accueilli avec enthousiasme par les Anglo-Saxons, on va dire. C'est aussi parce que c'est dans ces endroits où on m'invite pour réfléchir sur le cinéma. L'Angleterre m'a offert quelques occasions, notamment dans le cadre des BAFTA, et j'y vais à chaque fois avec plaisir."
Quels sont vos futurs projets ?
S.C.: "Pour l'instant je suis beaucoup sur les routes et j'enseigne. Je parcours l'Europe et j'essaye de rencontrer un maximum d'étudiants, c'est aussi pour ça que je suis là ce soir. Et je prends ce temps-là pour réfléchir en même temps à mon prochain film, mais je n'ai encore rien de fixé."
Une partie de la profession évoquait récemment dans la presse le besoin de réformer le cinéma français, notamment en proposant la tenue d'états généraux pour lutter contre la concurrence des plateformes, la baisse de fréquentation et tout simplement pour demander aux pouvoirs publics un engagement plus fort pour le 7e art. Pensez-vous que le cinéma est en danger ?
S.C.: "En France, on est sur des indicateurs extrêmement précis, là on est en train de regarder les chiffres de fréquentation des salles du mois de septembre, et on s'aperçoit que c'est le plus mauvais score depuis les années 80. On voit clairement que les habitudes ont changé suite au Covid, et il y a aussi une récession. Donc oui, il y a un grand danger, c'est sûr. On sait bien que les pratiques culturelles ne sont pas la priorité, puisque maintenant les gens ont du mal à se nourrir. Je suis inquiète, mais je vois aussi dans la crise des possibilités de réinventer les choses. On voit maintenant que la France est prête à se mobiliser politiquement pour faire bouger les choses, c'est déjà bon signe…"
Si vous ne connaissiez pas encore le cinéma de Céline Sciamma, 'Portrait de la jeune fille en feu' et 'Petite Maman' sont à découvrir dans le catalogue Pickx VOD.
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